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Émile Faguet : De la manière de lire des livres

Peut-être avez-vous suivi, samedi dernier sur France-Inter, l'émission de Jean-Claude Ameisen dédiée à la lecture et entendu les extraits d'Une histoire de la lecture d'Alberto Manguel ou des Neurones de la lecture de Stanislas Dehaene. A moins que vous ne préfériez sauter de blogs en blogs et, dans ce cas, vous aurez lu La leçon de lecture publiée sur le blog de A sauts et à gambades qui fait référence à Comment lire un livre de Virginia Woolf. Cette question est vaste et de nombreux écrivains ont tenté d’y répondre. Pour ma part, j’ai un faible pour les recommandations d'Émile Faguet (1847- 1916) dans L’art de lire.

Comment lire un livre ?

«Pour apprendre à lire, il faut d’abord lire très lentement et ensuite il faut lire très lentement et, toujours, jusqu’au dernier livre qui aura l’honneur d’être lu par vous, il faudra lire très lentement. Il faut lire aussi lentement un livre pour en jouir que pour s’instruire par lui ou le critiquer. (…)
Vous me direz qu’il y a des livres qui ne peuvent pas être lus lentement, qui ne supportent pas la lecture lente. Il y en a, en effet ; mais ce sont ceux-là qu’il ne faut pas lire du tout. Premier bienfait de la lecture lente : elle fait le départ, du premier coup, entre le livre à lire et le livre qui n’est fait que pour n’être pas lu. (…)
En dehors de « lire lentement », il n’y a pas un art de lire ; il y a des arts de lire et très différents selon les différents ouvrages. »


Comment lire un essai ?

« L’art de lire les livres d’idées me semble être celui-ci.
C’est un art de comparaison et de rapprochement continuel. Matériellement on lit un livre d’idées autant en tournant les feuillets de gauche à droite qu’en les tournant de droite à gauche, je veux dire autant en revenant à ce qu’on a lu qu’en continuant de lire. L’homme à idées étant, plus encore qu’un autre, un homme qui ne peut pas tout dire à la fois, se complète et s’éclaire en avançant et on ne le possède que quand on l’a lu tout entier. Il faut donc, à mesure qu’il se complète et qu’il s’éclaire, tenir compte sans cesse, pour comprendre ce qu’on en lit aujourd’hui, de ce qu’on en a lu hier, et pour mieux comprendre ce qu’on en a lu hier, de ce qu’on en lit aujourd’hui. »


Comment lire un roman ?

« Il est permis de lire un peu moins lentement les auteurs qui ont pour matière les sentiments de l’âme humaine, guère moins du reste. Là aussi il faut, sous d’autres formes, de la réflexion et même de la discussion et par conséquent tout le contraire de la hâte. Cependant ici, je suis tout à fait d’avis qu’il faut commencer par s’abandonner. L’auteur sentimental peint les sentiments du cœur moins pour les peindre que pour nous les inspirer. Il est un semeur de sentiments comme le philosophe est un semeur d’idées. Avant tout, il veut toucher. Toucher, c’est faire partager au lecteur les sentiments qu’on a prêtés à ses personnages ; c’est nous mettre, par une sorte de contagion, dans l’état d’âme et dans les divers états d’âmes des personnages qu’on a créés. Si l’auteur ne réussit point à cela, s’il ne touche pas du tout, laissons-le ; mais s’il nous touche un peu, ne résistons-pas, laissons-nous conduire à cet aimable guide, laissons-nous aller à l’impression, laissons-nous toucher, laissons-nous attendrir. »

Comment lire une pièce de théâtre ?

« Pour pouvoir lire une pièce, il faut avoir été assez souvent au théâtre ; car il faut, en lisant une pièce, la voir, la voir des yeux de l’imagination telle qu’on la verrait sur un théâtre. Cela est indispensable. Comme le véritable auteur dramatique écrit sa pièce en la voyant jouer, en voyant d’avance les acteurs qui entrent et qui sortent, qui se groupent et qui ont, en s’adressant les uns aux autres, telle ou telle attitude, et ne peut faire bien qu’à ce prix ; tout de même le lecteur doit voir, comme si elle était représentée, la pièce qu’il lit et pour ainsi dire presque littéralement entendre les couplets et les répliques. »

Comment lire un poème ?

« Les poètes proprement dits, et par là j’entends les poètes épiques, les poètes élégiaques et les poètes lyriques, doivent être lus d’une façon un peu différente, comme du reste ces poètes en prose qui sont les grands orateurs, et ces autres poètes en prose qui, par le nombre de leur phrase, sont des musiciens. Ils doivent être lus d’abord tout bas et ensuite tout haut. D’abord tout bas, pour que l’on comprenne leur pensée ; car la plupart d’entre nous, par l’effet de l’habitude, ne comprennent guère qu’à moitié ce qu’ils lisent tout haut ; ensuite à haute voix, pour que l’oreille se rende compte du nombre et de l’harmonie, sans que, cette fois, l’esprit laisse échapper le sens, puisqu’il s’en sera préalablement rempli. »

Images: André Kertész

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