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Broussaille: la série.

Après de nombreuses apparitions dans une rubrique du Journal de Spirou qui lui était dédiée, les carnets de Broussaille, et quelques histoires courtes, Broussaille entre dans la cour des «grands» en 1987 avec un premier album: Les Baleines Publiques . Voici un petit aperçu de cette série atypique, déssinée par Frank Pé et scénarisé par Michel Bom


Dans une ville, qu’on saura être Bruxelles avec le troisième album, un curieux phénomène se produit : des mouettes envahissent la ville la journée, se regroupent le soir, pour disparaître mystérieusement avant de réapparaître comme par magie le lendemain matin. Tignasse blonde-rousse dans le vent, Broussaille, un ado qui partage son studio avec son chat, est intrigué par ce phénomène.

Il est d’autant plus troublé qu’il est victime, la nuit d’étrange rêve où apparaissent requins, pieuvres, statues antiques enfouies sous les mers et le jour, de visions fantasmagoriques : le monde de la mer évolue dans les airs : des groupes de tortues survolent la ville de leurs nages aériennes calmes et décidées, des raies marquent les murs de leur imposantes ombres….

Un jour qu’il passe devant la boutique d’ un marchand de livres anciens, il est appelé par un livre "La Mer et ses Mystères" d'Auguste Petit. Il entre et l’achète : vaisseaux fantômes, serpents marins, sanctuaires enfouis s’y côtoient. Certaines gravures du livre sont mêmes les représentations parfaites des rêves de Broussaille. L’enquête commence.


Mais qui est donc cet Auguste Petit qui semble avoir envoûté toute une ville, des années après sa disparition ? Sur les traces de l’écrivain, Broussaille remarque qu’une deuxième personne, une jeune fille nommée Catherine, enquête aussi sur Auguste Petit. Chacun mène son enquête suivant ses moyens et son idée, mais ils finiront par se rencontrer et découvrir la clé du mystère. Cette histoire est celle d’une double rencontre, celle de deux personnes et celle de deux mondes, celui de l’imaginaire et celui de la réalité. Nous croisons des gens sans jamais les voir, nous oublions nos rêves sans jamais tenter de les réaliser. Pas le temps, trop de travail, pas envie, et la vie dans tout ça ?

Après un tome l’atmosphère est déjà bien plantée. Dans cet album on prend son temps, pas d’actions extraordinaires et pourtant un monde extraordinaire s’offre à nous. Faut pas rêver ! Oui faut pas rêver sinon on ne voit pas le monde qui nous entoure, mais l’imaginaire n’est pas rêve il fait partie de nous en tant que personne et qu’être humain, il est là naturellement, pour peu qu’on lui donne le temps d’apparaître. Là, dans cette pierre usée d’un pas de porte auquel on n’avait jamais jeté le moindre coup d’œil, se cache tout un univers ! D’où vient cette pierre ? Qui l’a taillée il y a 600 ans pour en faire un seuil de maison ? Combien de personnes ont posé leurs pieds ici ? Qui étaient ils ? Que faisaient-ils de leurs vies ? Oui dans ce bout de calcaire posé sur le sol tout un monde n’attend qu’une chose : qu’on l’interroge, qu’on le fasse revivre ne serait-ce qu’un instant. Tout autour de nous, la vie nous appelle ! Faut pas rêver, sinon on la manque !



Pour le deuxième album de Broussaille, Les Sculpteurs de Lumières nous quittons la ville et sa morosité pour les grands espaces verts de la campagne ardennaise. Le retour aux sources, les retrouvailles avec l’oncle René, le lapin à la bière de la tante, les balades en forêt et dans la campagne, une vie saine et tranquille. Saine et tranquille? Finalement pas tant que ça, une usine est en construction prés du village ardennais. Les pour et les contre s’affrontent. L’oncle René se met en colère à la moindre évocation de ce projet.

Pourquoi lui d’habitude si ouvert réagit-il aussi vivement? Broussaille se lance après ce mystère qui semble remonter à la révolution et aux activés d’un groupe d’érudits autour d’un petit lac qui maintenant se trouve au pied de l’usine en construction .

Les rencontres se multiplient :
deux écolos venus pour admirer la parfaite implantation de l’usine dans son cadre naturel. La première usine moderne prenant en compte l’environnement !
Jeannot et son compagnon à quatre pattes, un cochon.
Mais l’énigme reste complète, qu’à donc de si particulier ce lac ? Qui sont ces hommes craignant la révolution ? Une fois de plus, tout vient à point à qui sait attendre et le secret comme tous les vrais secrets, se révélera de lui-même s’il doit être révélé.
Le temps dans Broussaille passe, il a changé le Broussaille du premier album même s’il reste toujours autant rêveur. Jeannot est l’enfant de l’histoire, c’est un signe qui ne trompe pas! Pourtant il est une clé de l’histoire. La part d’enfant qui sommeille toujours en nous? Celle qui pose des questions, celle qui ne s’étonne pas du mystérieux puisqu’il fait partie de la vie, celle qui fait s’émerveiller des choses simples. Cette histoire est aussi une ode à la nature, à la création naturelle où chaque chose à sa fonction, où chaque chose finit par trouver sa place.
Elle nous montre aussi les grandeurs de la création humaine quand l’Homme exploite sa créativité pour améliorer les choses, quand il se lance des défis juste pour pouvoir les relever, quand ils fabriquent des choses, juste parce qu’elles sont jolies, quand il choisit tout simplement de vivre, au lieu de gagner. Mais dans un monde où les meilleurs volontés existent, les esprits les plus obtus ont aussi leur part.



Et nous voilà arrivé au troisième tome, « La Nuit du Chat ». Une histoire simple, très simple en apparence mais qui cache bien des secrets. C’est la fin de l’année scolaire, la fin des examens. Un soir. Broussaille au fourneau, le chat traîne dans le studio. On frappe à la porte ; c’est la concierge Madame Vermeulen. Petite discussion, et retour à son assiette. Tiens le beefsteak a disparu : maudit chat où es-tu ? Le chat a disparu ! Parti par la fenêtre, par la porte entre ouverte durant la discussion avec la concierge ? Pas question de laisser ce chat de gouttière d’appartement seul dehors. Broussaille part à sa recherche dans une Bruxelles qui commence à s’endormir.
Le passé se mêle au présent dans cette nouvelle quête. Broussaille se souvient de l’arrivée du chat du sa vie, il pense à Catherine : un oiseau qui passe dans le ciel, petit instant banal de la vie. Enfin presque banal ,elle était là et c’est suffisant pour que ce moment devienne mémorable. La recherche commence par les environs de l’appartement, les rues sont désertes personne à qui demander des renseignements, il faut se fier à son instinct. Broussaille traîne du côté des voies ferrées, le point de regroupement des chats du quartier. Des chats, il y en a des quantités mais pas Le chat. C’est la rencontre avec un homme sans nom, qui nourrit les chats sur le bord des voies de triage. Amoureux de chats, il aide Broussaille à sa manière d’une façon énigmatique.

La quête continue, elle va passer par les jardins qui longent la voie ferrée. Là, sur le mur qui sépare les jardins de la voie, Broussaille observe la vie des gens dans leurs occupations de tous les soirs. Il vole un bout de vie, d’émotion à chacun : l’enfant qui ne veut pas aller se coucher, les couples de retraités, l’astronome amateur, les amoureux, le quotidien de chacun défile sous ses yeux et toujours pas de chat et toujours ce sentiment de solitude qui monte en lui et semble s’amplifier. Et chat, maudit chat adoré où te caches tu? Catherine, pourquoi par moment la vie semble si compliquée? Pourquoi tant d’esprits fermés entravent notre chemin ?

Vous l’aurez sans doute déjà compris cette histoire est bien plus que celle d’un chat que Broussaille cherche dans cette ville. C’est un parcours initiatique qu’il effectue. Le parcours qui mène de l’adolescence à l’age adulte, c’est la chasse au jaguar des Incas. Pourtant il n’est pas totalement transformé par cette initiation, non, il a simplement appris que parfois il faut oser prendre ce que d’autres voudraient qu’on laisse, qu’un « Viens ! » même s’il est difficile à prononcer est parfois plus utile qu’un « Est-ce qu’elle pourrait venir avec moi? ». Cette histoire c’est la matérialisation d’un rêve. L’utopie c’est bien, sa réalisation c’est mieux, et même si tout n’est pas parfait c’est quand même un pas vers le mieux.


Le tome 4,tant attendu, et quelle attente, 11ans ! Cet album intitulé Sous deux soleils est un album hybride. Il est composé de deux histoires distinctes : Le discret pouvoir de Jizô , et Sandrine des collines .

Dans la première histoire Broussaille et Catherine partent en voyage au Japon. Mais dès leur arrivée, ils se retrouvent séparés dans la métro par des cohortes d’employés de bureau. Broussaille choisit de se rendre au point de rendez-vous que leur a fixé un ami qui doit le soir les loger, mais Catherine ne les rejoindra pas.

Maintenant ce n’est pas une course au chat à laquelle nous assistons, mais une recherche de l’un par l’autre à travers la ville de Tokyo, à travers l’hyper modernisme et la tradition. Cette histoire est avant tout un prétexte je pense, pour une visite de Tokyo. Nous sommes en 1994 et le Japon est encore un grand mystère pour nous. Depuis bien sûr, tout a changé grâce à des plans de coopération Europe Japon et de nombreux échanges tant qu’économiques, que scientifiques ou culturels. Mais en 94, le Japon n’avait encore qu’une image de victime de la seconde guerre mondiale et de « fourmis besogneuses ».

Dans ce tour de Tokyo, on découvre donc quelques mœurs de la vie japonaise : la cuisine, le logement… les traditions : le sumo, les temples et jardins de prières… et le modernisme avec son métro, le grand aquarium…. On passe de lieu en lieu en suivant les deux personnages qui se croisent sans se voir. Cette histoire est à mon sens avant tout, une très belle invitation au voyage, un guide dessiné.

La deuxième histoire, « Sandrine des collines », se passe dans un tout autre lieu, un deuxième type de soleil. Pour résoudre une histoire de famille, Broussaille s’en va, seul cette fois, au Burundi où vit la famille d’un de ses oncles : Edouard (le frère de René), Hélène sa femme, Alex son fils, Sandrine sa fille adoptive et enfin l’irascible Eléonore la mère (la grand mère de Broussaille pour simplifier les choses, c’est bon vous suivez encore ?).

Là c’est la découverte d’une nouvelle terre, de nouveaux paysages , d’une nouvelle culture qui attend Broussaille. C’est aussi une relation particulière au temps, un choc de culture entre passé et présent et entre présent et avenir. Cette histoire est assez difficile à résumer car elle présente un mélange, qu’à mon avis, seul l’Afrique est capable de créer. Elle est aussi à sa façon un peu plus classique pour du Broussaille. Elle nous montre à travers les problèmes d’une famille, une image de l’Afrique sur un siècle et un peu plus peut être. La grand-mère qui même si on la devine féministe et très rebelle, est marquée par les grandes heures de l’époque coloniale des années 30 à 50.


Et voici venir le tome 5 de la série, un Un Faune sur l'épaule . Dans le tome précédent, la trame du récit, Le discret pouvoir de Jizô , n'était qu'un prétexte pour illustrer le Japon. Dans ce tome 5, Frank fait disparaître complétement l'histoire, nous avons une succession de courts récits (quelques pages) autour d'un fils conducteur: le conflit entre nature et société de consommation. Irrésummable, cet album nous montre un Broussaille déconnecté du monde qui l'entoure et qu'il n'arrive plus à reconnaître et à comprendre. L'album est clairement engagé pour le respect de la nature, une thématique forte de la série mais aussi contre un capitalisme. Après quelques récits, très new-age, j'aime les arbres, l'onirisme apparaît dans l'histoire sous la forme d'un Faune, une créature mythologique dont le rôle est de servir d’intermédiaire entre les dieux et la nature. Le Faune est un personnage qui avait déjà côtoyé Broussaille dans l'album hors-série La Source édité par les Editions Pyramides.

J'ai du mal à apprécier ce album. Frank est, pour la première fois de la série, seul au commande et il domine trop largement son personnage. On croit lire une auto-biographie: pourquoi je dessine, pourquoi j'écris? J'aime les tomes précédents pour leur simplicité, ici tout est trop théorique et exagéré. La nature au-dessus de tout et sans drame, la recette du bonheur, on frôle de coach de vie et la mélodie du bonheur de quat'sous. Dommage, car les dessins et la mise en couleur sont tout simplement magnifiques. Dommage, pour cette série qui semble s'être arrêtée sur ce coac.





Plusieurs choses me plaisent dans cette série. La première d’entres elles est la relation entre les gens, bon ou mauvais, tous enrichissent celui qui veut bien les écouter.

La leçon n’est pas forcément le savoir du positif. Le lieu commun le dit bien : on apprend autant de ses erreurs que de ses réussites, si ce n’est plus ! La vie de Broussaille est jalonnée de ces rencontres éphémères qui sont autant de réflexions sur soi-même et de remises en cause de son opinion. Cette série est une sorte d’ode à l’esprit ouvert, à la curiosité. Accepter l’autre et ses idées, c’est aussi bien vivre et trouver sa place. C’est aussi ça, à mon sens, le vrai concept d’écologie.

L’écologie, celle qui apprend du passé, regarde le présent et imagine l’avenir. Pourquoi discuter des faits passés quand ces faits se passent toujours à l’instant présent ? Pour illustrer cet obscur propos avec un problème écologique au sens restreint du terme : pourquoi discuter de la disparition du requin grande-bouche alors qu’on massacre en ce moment le requin taureau? Est-ce de l’écologie ou une tentative d’expiation, une psychanalyse pour avoir bonne conscience?

Cette série nous montre aussi, grâce aux talents de dessinateur de Franck et de coloristes de Topaze et de Franck, la beauté de la nature, de la création quelle qu’ elle soit. Je reste autant admiratif devant les planches des paysages africains, de la campagne ardennaise que devant celles de la Bruxelles endormie, d’un triage des chemins de fer, ou d’une Tokyo mi-moderne, mi-médiévale. La beauté peut se cacher partout, alors gardons les yeux ouverts et l’oreille attentive.

On qualifie souvent Broussaille de série gratuite ! Pourquoi ? Parce que l’histoire peut se résumer en une phrase. Broussaille cherche la raison de l’apparition mystérieuse de mouettes dans ville éloignée de la mer. Broussaille rend visite à son oncle et découvre un lac entouré de mystère et d’histoire, menacé par l’installation d’une usine à proximité. Broussaille passe une nuit à la recherche de son chat. Broussaille et Catherine se trouvent séparés lors d’un voyage au Japon et tentent de se retrouver dans la mégacité de Tokyo. Broussaille, parti pour résoudre un problème familial, découvre l’Afrique. L’intrigue est mince mais ce n’est pas ça qui est important ici.

Cette série ne se limite pas à ses histoires qui ne sont finalement que des prétextes à la découverte de l’autre, de son monde, de sa culture et bien évidemment à la découverte de soi. Ce que j’aime dans broussaille c’est justement l’absence d’histoire qui permet de lire et relire les albums sans jamais se lasser et en découvrant, lecture après lecture, des détails qui m’avaient échappé. C’est l’exploration d’un réel univers, où on peut prendre et apprendre plein de choses. Je me retrouve dans cet univers, un exemple ? Dans la nuit du chat, Franck dessine à plusieurs reprises la bibliothèque de Broussaille, on peut y lire le titre de ses livres. Pour moi ce fut un choc de découvrir que je possédais la moitié de ces livres. On ne sort jamais de son monde. On continue simplement de l’explorer. On finit par savoir qu’on gravite toujours autour du même point, et qu’on n’est pas le seul à tourner autour de ce point. Chacun à sa technique, chacun à ses envies mais finalement nous sommes beaucoup à rechercher la même chose.

Nous tournons et tournons, aveugles, cherchant désespérément le passage vers ce point G. Mais si nous nous arrêtons, si nous décidons de regarder autours de nous, réellement, alors nous avons la possibilité de voir que nous ne sont sommes pas les seuls, que notre petite sphère finalement en intercepte d’autres, que nous n’aurons jamais la possibilité de toutes les connaître. J’aime Broussaille car il montre par fragment un monde arrêté, une part de vie dans laquelle on se reconnaît ou pas d’ailleurs, mais ce moment est figé pour nous.

A nous de le prendre ou de passer et l’oublier. J’aime cette notion du temps, qui s’écoule mais qu’on peut par envie, stopper. J’aime m’arrêter dans la rue pour regarder le seuil de pierre d’une maison, stopper, comme ça, sans raison, simplement pour voler un instant, un instant à moi pour moi. Je suis libre de passer à côté mais je choisis de m’arrêter.

Ici la question du choix se pose aussi, bien sûr si je m’arrête devant cette porte, je rate autre chose. Mais je choisis une sphère, je croiserai peut être les autres plus tard… En tout cas j’en découvrirai d’autres c’est sûr ! Je ne regrette rien, à cet instant cette décision m’a semblé la meilleure alors faisons avec. Je ne crois pas au hasard, je crois au choix. Ma vie est construite sur l’intersection de spirales, et mes seules libertés sont de choisir la vitesse à laquelle je tourne et vers quelle spirale je me dirige.

C’est ce que symbolise pour moi cette série. Broussaille dans chaque album est contraint de faire des choix, de choisir ses directions et quelque soit sa décision, elle est difficile à prendre dans l’instant. Mais Broussaille est aussi un personnage de fiction, et pour lui chaque album est finalement l’accomplissement d’un rêve, qui devient l’accomplissement d’une vie.



Broussaille série en 5 tomes:
Dessinateur: Frank
Scénariste: Bom
Editeur: Dupuis

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