Aujourd'hui, le Citathon rend hommage à l'historien Moshe Lewin (1921-2010), disparu le 14 août dernier. Né en Pologne, il a enseigné l'histoire à l’Université de Pennsylvanie aux États-Unis. Moshe Lewin est considéré comme l'un des pères fondateurs de l’histoire sociale de l'URSS.
L’histoire de la Russie est un remarquable laboratoire qui permet d’étudier une variété de systèmes autoritaires, avec leurs crises, jusqu’à nos jours. Qu’était le système soviétique après la mort de Staline en 1953 ? Etait-ce le socialisme ? Absolument pas ! Pour qu’il y ait socialisme, il faut que les avoirs économiques soient la propriété du socium, et non pas d’une bureaucratie. De plus, le socialisme a toujours été conçu comme un approfondissement de la démocratie politique et non pas comme son refus. Le socialisme suppose la socialisation de l’économie et la démocratisation du régime politique, alors que l’URSS n’a connu qu’une étatisation de l’économie et une bureaucratisation du politique.
Que le débat sur le phénomène soviétique ait été si longtemps (et parfois encore aujourd’hui) conduit en ces termes suggère l’interrogation suivante : si quelqu’un, en présence d’un hippopotame, déclare qu’il s’agit d’une girafe, va-t-on lui confier une chaire de zoologie ? Les sciences sociales seraient-elles moins exigeantes que la zoologie ?
La Russie face à son passé soviétique
Article paru dans le Monde Diplomatique
2001
Le caractère socialiste, ou en tout cas émancipateur, de la révolution d’Octobre ne fait aucun doute. En revanche, peut-on parler d’un Etat soviétique socialiste ? Il est difficile de soutenir une telle thèse. Le fait qu’il se soit désigné lui-même comme « socialiste », avec un parti « communiste », n’a d’autre pertinence que celle des slogans et des affiches officielles. Le socialisme est une forme de démocratie qui dépasse toutes les formes pouvant exister dans le monde capitaliste. Cela ne nous dit rien du type de système économique qu’une telle démocratie pourrait souhaiter mettre en place ; disons simplement que ce système doit être entre les mains de la société, sans capitalistes ni bureaucrates.
Réfléchir sur cet Etat, qui se proclamait haut et fort « socialiste » et dirigé par un parti « communiste », peut permettre d’avancer des éléments de réponse. Ces proclamations (à l’instar des mythes que d’autres Etats cherchent à faire entendre au monde) étaient indispensables pour légitimer le système devant son propre peuple et devant le monde extérieur. Mais ces déclarations ne résistaient pas à l’épreuve de la réalité, non seulement hors de Russie, mais en Russie même, où, après Staline, il existait une société urbaine, développée, éduquée, avec de très nombreux cadres expérimentés dans tous les domaines, y compris pour ce qui est de la gestion des affaires publiques ; cette société ne pouvait prendre le discours sur le « socialisme » pour la réalité.
Octobre 1917 à l’épreuve de l’histoire
Article paru dans le Monde Diplomatique
2007
Bibliographie sélective
La Paysannerie et le pouvoir soviétique : 1928-1930 [1966]
Le Dernier Combat de Lénine [1967]
Le Dernier Combat de Lénine [1978]
La Formation du système soviétique. Essais sur l'histoire sociale de la Russie dans l'entre-deux-guerres [1987]
La Grande Mutation soviétique [1989]
Le Siècle soviétique [2003]