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Les futurs du livre

En dépit d'une moisson encore plus fructueuse qu'en 2009 (si on exclut les surplus qui iront au pilon), cette rentrée littéraire sera marquée par la mort annoncée du livre imprimé. On en parle depuis une bonne décennie mais les événements récents indiquent que la révolution est bien en marche. L'arrivée de nouveaux appareils contribue à démocratiser l'ebook et de nouvelles plateformes de téléchargement sont créés presque chaque jour. Les polémiques opposant les défenseurs de l'imprimerie aux aficionados du numérique s'essoufflent, tandis que se multiplient les débats sur l' avenir des librairies traditionnelles et des bibliothèques, l'instauration d'un prix unique du livre ou d'un taux de TVA réduit, l'intégration de publicités dans les textes, la censure, le piratage, les droits d'auteurs, l'écologie électronique, etc.


Lors d'une conférence à Lake Tahoe (Californie) en août dernier, l'informaticien Nicholas Negroponte, professeur au MIT de Boston, a prédit la mort du livre papier pour 2015. Le professeur Peter Cochrane, un autre futurologue américain, prétend quant à lui que d'ici 20 à 30 ans, les ouvrages imprimés seront devenus de couteux objets de collection, que l'on exposera dans les musées, à l'instar des antiques machines à écrire mécaniques. Les chiffres qui paraissent régulièrement dans la presse semblent leur donner raison. Néanmoins, une étude publiée sur le site du Sénat français envisage deux scénarios différents. En France 15% des lecteurs achètent 50% des livres. Dans l'hypothèse où les ceux qui lisent le plus « basculeraient » et s'équiperaient progressivement (d'ici 2050 de tablettes) de lecture numériques ou de smartphones, ce sont donc la moitié des livres papier publiés annuellement qui pourraient disparaître (scénario 2). Cependant, lors d'une conférence de presse en mai 2009, Jeff Bezos, le PDG d'Amazon, a déclaré que jusqu'à présent le Kindle n'avait pas suscité de diminution des ventes de livres papier. Les acheteurs de livres numériques continuent d'acheter des livres papier, auxquels viennent s'ajouter l'acquisition de 1,6 à 1,7 livres numériques par livre papier vendu (scénario 1).

Scénario 2 : cannibalisation du livre papier par le livre numérique

Le mois dernier, le Wall Street Journal a publié les résultats d'une étude sur les pratiques des lecteurs sur tablettes (Kindle, Sony Reader et autres iPad). On apprenait ainsi que 40% des utilisateurs lisent plus depuis qu'ils sont équipés d'un lecteur ebook, soit en moyenne 2,6 livres par mois contre 1,9 pour les fidèles des livres imprimés. Il faut noter qu'ils téléchargent 52% d'ouvrages libres de droits. Aux États-Unis, les ventes d'ebooks ont augmenté de 176% en 2009 tandis que les livres papiers diminuaient de 1.8%. Dans un autre article, le Wall Street Journal révèle que le dernier polar de la romancière Laura Lippman, paru le 17 août, s'est vendu à 4.739 exemplaires en version numérique contre 4.000 en papier en cinq jours. Son éditeur, HarperCollins réalise actuellement 8% de son chiffre d'affaires sur les ebooks, avec une perspective à 20- 25% d'ici la fin 2012. Le PC reste le support le plus utilisé par les Américains (44% des usagers en janvier 2010) mais il décline au profit des e-readers (36%). L'iPad, développé par Apple, propose le catalogue le plus vaste de téléchargement et domine actuellement le marché. Ces concurrents (Amazon, Barnes & Noble et Borders) se sont lancés dans une impitoyable guerre des prix. Le Kindle est passé de 259 $ à 189 $ et le Nook de 259 $ à 199 $. Les magasins Borders de leur coté soldent le Kobo à 100 € et lancent le modèle Aluratek à 99 $. En juillet, Amazon a annoncé que ces ventes avaient triplé depuis la baisse des prix. En trois mois, le géant américain aurait vendu 143 livres Kindle pour 100 Hardcovers (livres reliés en grand format). Ces chiffres ne tiennent donc pas compte des paperbacks (les livres à couvertures souples et les collections de poche). Sony réplique avec le lancement de deux nouvelles gammes d'appareils: le Reader Touch Edition et le Reader Pocket Edition.


Tous ces indicateurs sont impressionnants mais il faut les replacer dans leur cadre. Au Japon, le pays le plus avancé dans la transition vers le livre numérique, la part de l'ebook ne représentait pas plus de 3% à 6 % (selon les sources) du marché du livre en 2009. Les e-readers japonais utilisent encore essentiellement leurs téléphones portables et, en dépit d'une hausse de près de 24% en un an, le marché présente des symptômes d'essoufflement. Les ouvrages téléchargés ont généré 57,4 milliards de yens (522 millions d'euros) entre avril 2009 et mars 2010. Ce marché est largement dominé par les contenus pour adultes et les mangas (89 % des ouvrages numérisés). Les codes des livres graphiques diffèrent beaucoup de ceux de l'édition traditionnelle. Les keitai shousetsu (romans pour mobiles), qui connaissent un succès phénoménal (jusqu'à 10 millions de téléchargements), sont généralement écrits sur et pour des smarphones (Nokia, Blackberry, Apple...). Ils utilisent les abréviations, le style de l'écriture SMS et sont publiés sous forme de feuilletons. Des mangas sur mobiles ont été lancé en Grande-Bretagne et en France, à l'occasion du Japan Expo.
NTT Docomo, numéro 1 de la téléphonie mobile au Japon, a annoncé la mise en place d'un partenariat avec Dai Nippon Printing, le géant de l'édition, en vue de concevoir son propre lecteur numérique. A cela s'ajoute la création d'une librairie numérique proposant quelques 100 000 titres (mangas et romans) dès le mois octobre prochain. L'entreprise japonaise, ambitionne de porter son catalogue à 300 000 titres, d'ici à la fin de l'année 2011, qui seront disponibles sur tous les supports existants.
Une autre étude a été réalisée en Chine, à l'occasion du salon du livre à Pékin (du 30 août au 3 septembre dernier). Sur les 150 milliards de dollars que représentent l’édition, près de 12 milliards sont générés par la vente de livres numériques.


En Belgique, en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne, le marché du livre numérique est encore embryonnaire et ne représente guère plus de 1% du chiffre d'affaires des éditeurs. Selon Arnaud Nourry, le P-DG d'Hachette Livre, le marché ne décollera pas avant 2012-2013 en France et en Grande Bretagne.
En Mars dernier, le Figaro littéraire a publié les résultats d'une étude de l'institut OpinionWay sur les pratiques de lecture des Français. Une personne sur cinq pense passer au numérique dans un avenir proche, via un écran d'ordinateur (11%), un e-book (7%), un téléphone mobile (2%)ou l'écoute d'un CD lu par un comédien (2%). Une autre étude, menée par l’Observatoire de la Bd numérique, en février et mars 2010, vient confirmer ces résultats puisque 70% des internautes favorisent le papier. Néanmoins, 45 % d'entre eux considèrent le smartphone comme un outil complémentaire pour la lecture de BD.




Au premier semestre 2009, le nombre de livres téléchargés était évalué à 65 000 volumes de l'autre coté du Rhin contre 25 000 livres numérisés hors domaine public en France. Ils ont rapporté 30 à 40 millions € aux éditeurs de l'Hexagone, l'essentiel des supports physiques étant les CD et DVD. Pour cette rentrée littéraire 2010, les lecteurs se verront néanmoins proposer 80 nouveautés numériques contre 700 papiers. A l'heure actuelle 3 plateformes de téléchargement couvrent 80% de l'offre numérique: Numilog, la filiale d'Hachette; e-Plateforme pour Editis et Média Participations; ainsi qu'Eden Livres pour Flammarion, Gallimard et La Martinière. Numilog a récemment conclu des partenariats avec Carrefour et Darty, qui ont désormais leurs fast-food culturels. Média Participations, qui regroupe Dargaud, Lombard, Dupuis, Casterman, Fluide Glacial et Bamboo a ouvert son portail Iznéo, à l'occasion du salon du livre, le 26 mars dernier. Il s'agit d'une plateforme entièrement dédié à la bande dessinée numérique. Les éditions Glénat, de leur coté, se sont associées à Ave!Comics Production pour propulser un catalogue numérique dont les titres sont également disponibles sur les boutiques en ligne Appstore, Relay et BDgest. Les éditeurs de Science-fiction ont à leur tour pris quelques initiatives, à l'occasion de cette rentrée littéraire 2010. On peut mentionner l'ouverture de la plateforme e-Bélial en août, la numérisation des Enfants de Hurin de Tolkien (aux éditions Bourgeois) ou d'épisode des Derniers hommes de Pierre Bordage (aux éditions au Diable Vauvert). Par ailleurs, quelques librairies indépendantes, telle Gibert Jeune à Paris, se sont d'ors et déjà préparées à négocier le tournant de la révolution numérique. Elles peuvent, par exemple, passer par des revendeurs spécialisés comme les librairies e-pagine ou Immatériel.fr.


En Suisse romande, l'OLF (l’Office du livre) s'est déjà donné les moyens de défendre les librairies indépendantes, grâce à la création du site e-readers.ch. Par l'intermédiaire de cette plateforme de téléchargement, les internautes peuvent sélectionner la librairie de leur choix qui perçoit environ 25% de commission sur la vente des livres numériques. Parmi elles, il y a également de grosses librairies comme Payot et la Fnac. Par ailleurs, deux maisons d'éditions françaises, Gallimard et de Seuil, participent à cette initiative. Actuellement, 30 000 livres à télécharger sont disponibles sur la plateforme e-readers.ch, dont 5000 ouvrages en français, 5000 en allemand et 20000 en anglais.
Au Québec, enfin, où le numérique représente environ 1% du chiffre d'affaire de l'édition, l'entrepôt numérique De Marque, héberge les versions numériques de près de cinquante maisons d'édition. De Marque estime pouvoir rallier 85 % des éditeurs québécois à sa plateforme de distribution dans un avenir proche. Trois maisons dominent actuellement le secteur du livre numérique au Québec, avec plus de 1000 ventes chacune. Il s'agit des éditions Alire, des éditions Alto et des Guides de voyage Ulysse. Deux librairies en ligne, jelis.ca et livresquebecois.com, permettent également de se procurer des ouvrages téléchargeables.

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