Citathon (+ PLUS)

Rome vue par Chateaubriand

Les grandes vacances sont propices aux flâneries. Aussi, nous reprenons notre Citathon où nous l'avions abandonné, il y a quelques mois. Cette année, nous avons programmé plusieurs escapades littéraires dans l'hexagone et vers des contrées plus lointaines. Comme nous sommes quelque peu capricieux, nous n'avons pas choisit une ville française pour point de départ mais la capitale italienne.

En 1803, le vicomte François-René de Chateaubriand (1768-1848), qui n'a pas encore écrit les Mémoires d'outre-tombe ni entrepris son voyage vers l'Orient, est choisi par le Premier Consul Napoléon Bonaparte, pour accompagner le cardinal Fesch à Rome en tant que secrétaire d'ambassade. Il y retournera en 1828 comme ambassadeur.

« Rien n’est comparable pour la beauté aux lignes de l’horizon romain, à la douce inclinaison des plans, aux contours suaves et fuyants des montagnes qui le terminent. Souvent les vallées dans la campagne prennent la forme d’une arène, d’un cirque, d’un hippodrome ; les coteaux sont taillés en terrasses, comme si la main puissante des Romains avait remué toute cette terre.
Une vapeur particulière, répandue dans les lointains, arrondit les objets et dissimule ce qu’ils pourraient avoir de dur ou de heurté dans leurs formes. Les ombres ne sont jamais lourdes et noires ; il n’y a pas de masses si obscures de rochers et de feuillages dans lesquelles il ne s’insinue toujours un peu de lumière. Une teinte singulièrement harmonieuse marie la terre, le ciel et les eaux : toutes les surfaces, au moyen d’une gradation insensible de couleurs, s’unissent par leurs extrémités, sans qu’on puisse déterminer le point où une nuance finit et où l’autre commence. (…)

Je ne me lassais point de voir à la villa Borghèse le soleil se coucher sur les cyprès du mont Marius et sur les pins de la villa Pamphili, plantés par Le Nôtre. J’ai souvent aussi remonté le Tibre à Ponte-Mole, pour jouir de cette grande scène de la fin du jour. Les sommets des montagnes de la Sabine apparaissent alors de lapis-lazuli et d’opale, tandis que leurs bases et leurs flancs sont noyés dans une vapeur d’une teinte violette et purpurine. Quelquefois de beaux nuages comme des chars légers, portés sur le vent du soir avec une grâce inimitable, font comprendre l’apparition des habitants de l’Olympe sous ce ciel mythologique ; quelquefois l’antique Rome semble avoir étendu dans l’occident toute la pourpre de ses consuls et de ses césars, sous les derniers pas du dieu du jour. Cette riche décoration ne se retire pas aussi vite que dans nos climats : lorsque vous croyez que ses teintes vont s’effacer, elle se ranime sur quelque autre point de l’horizon ; un crépuscule succède à un crépuscule, et la magie du couchant se prolonge. (…)

Quoique Rome, vue intérieurement, offre l’aspect de la plupart des villes européennes, toutefois elle conserve encore un caractère particulier: aucune autre cité ne présente un pareil mélange d’architecture et de ruines, depuis le Panthéon d’Agrippa jusqu’aux murailles de Bélisaire, depuis les monuments apportés d’Alexandrie jusqu’au dôme élevé par Michel-Ange. La beauté des femmes est un autre trait distinctif de Rome : elles rappellent par leur port et leur démarche les Clélie et les Cornélie ; on croirait voir des statues antiques de Junon ou de Pallas descendues de leur piédestal et se promenant autour de leurs temples. (…)

Une autre singularité de la ville de Rome, ce sont les troupeaux de chèvres, et surtout ces attelages de grands bœufs aux cornes énormes, couchés au pied des obélisques égyptiens, parmi les débris du Forum et sous les arcs où ils passaient autrefois pour conduire le triomphateur romain à ce Capitole que Cicéron appelle le conseil public de l’univers (…)

À tous les bruits ordinaires des grandes cités se mêle ici le bruit des eaux que l’on entend de toutes parts, comme si l’on était auprès des fontaines de Blandusie ou d’Égérie. Du haut des collines renfermées dans l’enceinte de Rome, ou à l’extrémité de plusieurs rues, vous apercevez la campagne en perspective, ce qui mêle la ville et les champs d’une manière pittoresque. En hiver les toits des maisons sont couverts d’herbes, comme les toits de chaume de nos paysans. Ces diverses circonstances contribuent à donner à Rome je ne sais quoi de rustique, qui va bien à son histoire (…)»


François-René de Chateaubriand, Voyage de Naples - À M. de Fontanes dans Voyage en Italie.

Visites guidées:
Voyage en Italie de Chateaubriand sur Wikisource
Œuvres complètes de Chateaubriand (Tome 6: Voyage en Italie) sur Gallica
Chateaubriand et l'Italie sur le site de Marie-Hélène Viviani
Vie et œuvre de Chateaubriand sur le réseau de l'Institut français
La maison de Chateaubriand à Châtenay Malabry

Image:
Le château Saint-Ange et la basilique Saint-Pierre vers 1834 par Rudolf Wiegmann (1804-1865)


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