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Aristote à l'heure du thé - Oscar Wilde

L'auteur du Portrait de Dorian Gray et de L'Importance d'être Constant, n'était pas seulement écrivain et dramaturge, il publia de nombreux articles journalistiques ou de critique littéraire dans le Daily Chronicle, la Court and Society Review, la Fortnightly Review ou la Pall Mall Gazette, ainsi que dans le Woman's World, un magazine dont il était l'éditeur. L'écrivain français, Charles Dantzig, a sélectionné et traduit une trentaine de textes qui ont été réédités en 2010 dans la collection des Cahiers Rouges chez Grasset.

Ce recueil emprunte son titre à un compte rendu de lecture d'Oscar Wilde sur Les principes de l'art de la conversation de J.P. Mahaffy. On y trouve également le fameux Lire ou ne pas lire qui a sans doute inspiré l'essai de Charles Dantzig, Pourquoi lire ? (Grasset, 2010), récompensé par le Grand Prix Jean Giono et figurant sur la liste des 20 meilleurs livres de l'année du magazine Le Point.

Les textes réunis dans Aristote à l'heure du thé ont été publiée entre 1877 et 1895. A l'instar d'Aristote, l'écrivain irlandais s'est intéressé avec une érudite gourmandise aux arts de son époque. Oscar Wilde écrit sur la littérature, la poésie, la peinture, la mode ou la gastronomie. Après son voyage aux États-Unis, il a donné des conférences très amusantes sur le caractère et le mode de vie Américain. Les femmes, jugées intelligentes et rafraîchissantes, s'en dire à bon compte, on ne peu pas en dire autant de leurs compatriotes masculins... surtout s'ils tentent de s'implanter de l'autre coté de l'Atlantique.
«Le malheureux Américain, lui, reste constamment en arrière, et ne s'élève jamais au-dessus du niveau des touristes. De temps à autre, il fait une apparition au Row, où il forme une bien étrange silhouette, dans sa longue redingote de tissu noir et brillant, mais son domaine favori reste le Strand, et son idée du paradis, la bourse américaine. Quand il ne se prélasse pas un cigare à la bouche dans un fauteuil à bascule, il flâne par les rues un sac de voyage à la main, toisant gravement nos marchandises et essayant de comprendre l'Europe par le biais de ses vitrines. (…) Son principal plaisir consiste à empoigner un étranger qui ne demandait rien, ou quelque sympathique campagnard, pour s'adonner au jeu national du qui est le plus fort. Avec une naïveté et une nonchalance absolument charmantes, il comparera gravement le palais de Saint-James à la gare centrale de Chicago, l'abbaye de Westminster aux chutes du Niagara. »

Dans une seconde partie, Charles Dantzig a choisi de présenter cinq articles dédier à la peinture, dont un inédit par rapport à sa première traduction intitulée Les modèles à Londres et paru dans la Revue des deux mondes. Ce texte brosse un portrait sans concession des poseurs professionnels embauchés par les peintres selon leurs origines culturelles. Visiblement, les modèles britanniques n'étaient pas les favoris du dandy.
« Les modèles anglais regardent rarement des tableaux et ne s'aventurent dans aucune théorie esthétique. (…) Ils admettent toutes les écoles avec une tolérance de commissaire priseur, s'assoient devant l'extravagant jeune impressionniste d'aussi bon cœur que devant le savant et laborieux académicien. Ils ne sont ni pour ni contre les whistlériens; la querelle entre l'école des fait et l'école des effets ne les émeut pas ; idéalistes et naturalistes leur sont des mots sans signification ; ils veulent simplement que l'atelier soit chauffé et le repas chaud, puisque tout artiste aimable offre à dejeuner à ses modèles. (…) Ayant naturellement bon fond, ils sont très accomodant. "En quoi voudriez-vous poser ?" demanda un jeune artiste à un modèle qui lui avait envoyé sa carte (tous les modèles ont des cartes de visite et un petit sac noir). "Oh, en ce que vous voudrez, monsieur" répondit la jeune fille ; "en paysage, si besoin est" ».
Oscar Wilde n'est pas forcément plus tendre avec les peintres, surtout lorsqu'il s'agit des représentants de l'Académie royale. Ainsi, dans un autre texte à propos d'une exposition présentée à la galerie Gainsborough au 25, Old Bond Street, il régale son lecteur d'une réjouissante ironie.
« (…) un splendide Orchardson (n°72) évoque délicatement l'atmosphère couleur moutarde à travers laquelle ce Thackeray de la peinture aime à regarder la vie ; les Leslie et les Marcus Stone ont une joliesse indistincte et fanée qui nous fait regretter l’honnête laideur du naturalisme ; enfin, on trouve quelques réalisations de la poétique école d'artistes pour qui la seule façon d'idéaliser une personne qui pose consiste à faire le portrait d'une autre ».

La majeure partie du recueil est néanmoins dédiée aux Belles lettres et à ses représentants, depuis les romanciers et les essayistes jusqu'aux traducteurs, en passant par les poètes. A propos d'un ouvrage de vulgarisation sur Dante Gabriel Rossetti par Joseph Knight, c'est un Oscar Wilde désespéré, mais toujours de plume alerte qui s'esclaffe.
« Nous espérons de tout cœur qu'il sera bientôt mis fin aux biographies de cette espèce. Elles ôtent aux vies beaucoup de leur grandeur et de leur merveilleux, elles ajoutent une terreur nouvelle à la mort, elles nous font desirer que les arts deviennent anonymes. Les pauvres éditions de grands livres sont les bienvenues, les pauvres éditions de grands hommes sont détestables. On n'aurait pas pu choisir de plus malheureux sujet d'ouvrage populaire que celui à qui nous devons le document qui se trouve sous nos yeux. »
Il ne faut pas croire pour autant que l'écrivain écossais passait son temps à dénigrer ses paires. Parmi les auteurs qui ont su flatter son sens esthétique, plusieurs sont français. Ainsi George Sand, Honoré de Balzac et Charles Baudelaire s'en tirent-ils avec les honneurs qui leur sont dus. Les Russes, Ivan Tourgueniev, Léon Tolstoï et Fiodor Dostoïevski ne s'en sortent pas mal non plus. Mais, si on se fie à ce que nous dit Oscar Wilde, ce sont peut-être les poètes qui ont le plus grand rôle à jouer, non seulement dans les arts, mais aussi dans la vie quotidienne des hommes de son temps.
« Il existe une catégorie d'hommes que nous sommes en droit d'appeler à l'aide, à qui nous devrions conférer avec délice la tâche de remuer la conscience nationale. Quand les pauvres souffrent de leurs propres défauts et de la cupidité des capitalistes, quand les uns et les autres risquent de souffrir encore plus pour des raisons qu'ils ne maîtrisent qu'en partie, c'est l'heure pour les poètes d'exercer pour de bon leur influence, et d'ériger devant tous des idéaux plus justes que le simple amour de la richesse et de l'ostentation d'une part, le désir d'appropriation de biens de l'autre. »

Titre: Aristote à l'heure du thé
Auteur: Oscar Wilde
Editeur: Grasset
Parution: février 2010
Pages: 189


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