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Charles Baudelaire : Maudits vampires

Aujourd'hui, j'ai décidé de faire une pause poétique dans notre Citathon. Lorsque j'étais écolière, les instituteurs nous faisaient apprendre par cœur les fables de La Fontaine et des vers de Jacques Prévert, d'Arthur Rimbaud ou de Théophile Gautier. La poésie, de nos jours, se chante ou se slamme, plus qu'elle ne se déclame, mais mais elle toujours vivante. Pour célébrer la résurrection des vampires sur la scène éditoriale, j'ai choisi deux poèmes de Charles Baudelaire (1821-1867).

Le Vampire et Les métamorphoses du vampire sont extraits du recueil des Fleurs du mal, paru en 1857, et qui a vaut à Charles Baudelaire une condamnation pour "offense à la morale publique". Outre les amendes, le poète et son éditeur sont condamnés à censurer six textes qui sont ainsi supprimés de l 'édition originale des Fleurs du mal. Les poèmes paraîtront cependant discrètement dans un volume intitulé Les épaves. Il faudra tout de même attendre le 31 mai 1949, pour que la justice réhabilite Charles Baudelaire et ses éditeurs !

Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon coeur plaintif est entrée ;
Toi qui, forte comme un troupeau
De démons, vins, folle et parée,

De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine ;
- Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne,

Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l'ivrogne,
Comme aux vermines la charogne,
- Maudite, maudite sois-tu !

J'ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j'ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.

Hélas ! le poison et le glaive
M'ont pris en dédain et m'ont dit :
" Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
A ton esclavage maudit,

Imbécile ! - de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire !



Le Vampire, Les Fleurs du Mal, 1857


La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc:
- "Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles!
Je suis, mon cher savant, si docte aux voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés,
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi!"

Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus!
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.



Les métamorphoses du vampire, Les Fleurs du Mal, 1857





Bibliographie sélective
Les Fleurs du mal (1857)
Le Poème du haschisch (1858)
Les Paradis artificiels (1860)
Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris (1869)


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